[...] A travers la cloison, me parviennent le bourdonnement de sourdes conversations, le tintement clair de couverts qui s’entrechoquent, une odeur aigre douce qui filtre sous la porte. Un réfectoire...
Maintenant, certain d’être éveillé, j’ai faim. Le brouhaha et les effluves de déjeuner me dirigent vers la cantine. Je tourne la poignée, pousse la porte vitrée qui s’ouvre sur une multitude de baguettes fixées en l’air, certaines dans des bouches, d’autres emprisonnant des aliments. Au bout de ces baguettes, des hommes, des femmes, des enfants médusés, me regardent comme si j’étais l’unique survivant au crash de ma soucoupe volante. Habillé pour le départ, encore recouvert de boue de la veille, pas rasé, l’air hagard, je dois faire peur à voir.
Le cours du repas et des conversations reprend. Je me dirige calmement vers le chaudron bouillonnant d’abats et de légumes. Personne ne m’adresse la parole. Semblable à un fantôme que nul ne veut voir, l’assemblée fait semblant de m’ignorer. Parfois un coup d’oeil furtif vite détourné, c’est tout.
Je chipote le morceau de tripe nageant au fond de mon bol. Je suis soucieux, je n’ai pas un seul yuan sur moi (la monnaie chinoise). Mon entrée en Chine a été si soudaine… Le voiturier, avec qui hier au soir j’avais échangé de quoi payer ma nuit d’hôtel, demeure introuvable et la banque de la ville est fermée pour une cause inconnue. Ma décision est prise : je pars pour Ürümqi. [...]
[...] Sur l’autoroute en construction qui va prochainement relier l’extrême est de la Chine à l’Asie centrale, sont dores et déjà bâties de flamboyantes stations service n’ayant rien à envier à leurs consoeurs occidentales. Dans ces rutilants postes à essence, j’arrive parfois à échanger un, voire cinq dollars transformés illico en litres d’essence.
Lors de cette neuve et première journée de route en terre chinoise, je découvre des personnes au moins aussi intimidées que moi. Je constate avec amusement que nous agissons comme des animaux voisins de la même espèce : une approche prudente guidée par un intérêt et une curiosité réciproque. Ces rencontres me rappellent à cette antique Route de la soie. Aujourd’hui, barres chocolatées et carburant remplacent nourriture et fourrage. Dans ces nouveaux caravansérails les couleurs bien en vue des compagnies pétrolières claquent au vent, ceux sont elles les maîtres du marché ! Et le peu d’argent à ma disposition finit dans leurs caisses pour y abreuver mon fier coursier… [...]
Rédigé par Jean-Loup Fournier -
Aucun commentaire
Classé dans : Chine
Mots clés : Chine, Urumqi, route, terre, chinoise