[...] Culminant à deux mille cent cinquante mètres d’altitude (plus près de toi mon Dieu), c’est sur cette montagne des monts Ankar, haute et pointue, que Mithridate (le père d’Antiochos) commença à bâtir un tumulus funéraire. Couronnant la cime, en continuité avec le degré d’inclinaison, le tertre conique construit de milliards de cailloux accumulés sur cinquante mètres de haut et cent cinquante mètres de rayon abrite la chambre funéraire encore inviolée d’Antiochos (69 à 31 avant J.C.).
Souverain du petit royaume (dont la dynastie ne dépassa pas un siècle) de Commagène, il côtoya l’Empire romain et Parthes en guerre pour l’appropriation de l’Orient Helléniste. Allié des Romains qui l’avaient reconnu comme roi, Antiochos reçut en récompense de son allégeance une partie de la Mésopotamie et de la vallée de l’Euphrate. Se réclamant héritier de dignitaires Perses et Macédoniens, Antiochos instaura le culte du roi-dieu et construisit un véritable hiérothéséion (sépulture sacrée, ce qui s’impose comme une évidence lorsqu’on est un dieu…)
[...] à la première terrasse, celle du levant, plutôt décevante avec ses statues redevenues d’informes rochers. En contournant le sanctuaire afin d'accéder au podium ouest, s'offre à la vue un chaos de blocs de pierre d'où émergent d'énormes têtes de statues. Leurs cinq corps colossaux haut de huit à dix mètres, étêtés par des tremblements de terres successifs, trônent assis côte à côte dans un mini panthéon : Apollon, près du royaume de Commagène représenté sous les traits de la séduisante à deux titres Fortuna-Tyché, (« fortune et hasard », j’aime !), puis Zeus-Ahura-Mazda (qui envisage pendant un moment de traiter les humains selon leurs propres méthodes mais qui - magnanime ? - envoie Pandore) à côté d’Antiochos (dieu siège avec les dieux !) et d’Héraclés (je comprends maintenant que l’aigle se soit enfui !). Je reste longtemps à observer ce curieux amalgame de courants d’influences, de pensées et de croyances. Mais au final, c’est la marque anonyme du coup du burin sur une face cachée qui m’interroge le plus. Je me dis que sans ce tombeau ce roitelet ne serait connu que par quelques érudits… [...]
C’est maintenant dans mon souvenir que je recherche l’instant unique du vécu. Et l’évocation ne vient pas du tombeau, ni des imposantes statues mais de la grandeur et de l’isolement du site. La vue y est grandiose, immense. De ce point dominant, j’aperçois nettement la chaîne de montagnes du Taurus. Dans la vallée, l'Euphrate, berceau de nombreuses civilisations, s’éloigne pour alimenter la Syrie. Un silence monastique, véritablement envoûtant, règne. Je ressens un intense sentiment de plénitude. Attendre le coucher du soleil qui va enflammer les statues de ses derniers rayons... Dans un instant il fera nuit. Il fait déjà froid…
En redescendant la piste sur mon DR pour rejoindre l'hôtel modeste (très modeste !), le phare perce la nuit d'un jour pas encore complètement éteint. Nous sommes le quatorze juin deux mille cinq. [...]
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