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Chine-La Citée Interdite

[...] C’est gigantesque : cent cinquante mille mètres carrés de constructions – huit cents palais entrecoupés d’immenses places –, réparties sur une superficie de plus de soixante-dix hectares ! La plus grande Cité impériale au monde, ceinturée de douves et d’enceintes était interdite à la population et quiconque était surpris à l’intérieur était passible de la peine de mort. Vivant en vase clos et réfugiés dans le sacralisé, les Fils du ciel, ayant perdu le sens des réalités, coupés du monde, ne quittaient leur palais qu’en cas d’extrême nécessité, laissant les décisions aux mains des eunuques. Cette vie de luxe conjuguée à l’incompétence à gouverner ne pouvait perdurer…

cite interdite

De monumentales portes s’ouvrent toujours plus en avant vers le Palais impérial. Les toits aux tuiles vernies reflètent la lumière du jour, de parfaites mosaïques décorent le haut des murs peints d’ocre, chaque détail attire l’attention.
Des lacs, des jardins parés d’arbres centenaires vénérés par les Chinois, sont aussi impressionnants de grandeur. Des fleurs de lotus égayent les cours d’eau. L’harmonie entre les espaces naturels et la mythologie renforce une ambiance de bien-être et de détente. Seule l’atmosphère polluée me rappelle le vingt et unième siècle. » [...]

Cite interdite

Chine-La Grande Muraille de Huanghua

Grande Muraille de Huanghua

    [...] « Levant un droit de passage, le cerbère fait femme interdit l’abrupt sentier. Son acolyte menace, la hache levée bien haut ! Difficile d’accéder à la Grande Muraille de Huanghua sans payer dîme… Choisie pour être peu fréquenté et pour l’image classique de la "Grande Muraille" aux hauts et larges remparts de pierres taillées, ce tronçon situé à soixante kilomètres au nord de Pékin est tenu par des locaux qui ont bloqué les issues d’accès aux remparts mais délivrent une échelle en contrepartie de vingt RMB (deux euros cinquante).

Ils sont trois dans cette antique tour de guet. L’un d’eux dort sur une paillasse en travers de l’accès aux remparts. C’est sale, le repoussant s’y allie à l’infect, un mirador fait office de toilettes. Dans le suivant c’est une cuisine sommaire. D’une meurtrière, je peux voir la tour suivante occupée par des soldats. Ils attendent le partage des péages de la journée. Plus tard… Puissants remparts dallés de granit, voici l’apogée en matière de défense chinoise contre les tribus nomades venues du nord. Cette menace permanente a conduit les Chinois, peuple d’agri- culteurs sédentaires, à entreprendre la construction de défenses les protégeant des invasions.

L’accumulation de ressources et de richesses attise la convoitise : les humains ont-ils véritablement changé à ce sujet ? Oubliée la muraille de terre coupant le désert par son milieu, l’échine crénelée serpente et se perd de vue dans des montagnes boisées aux falaises escarpées. Les archéologues et les scientifiques se l’accordent, la distance des murailles assemblées bout à bout dépasse les cinquante cinq mille kilomètres. Un travail de titans réalisé par de simples mortels… [...]

Chine-De Pékin à Shanghaï

Je me range sur le bas-côté de la route. Je fais une pause, voilà plus de six heures que je roule sans interruption, juste le temps d’un ravitaillement en eau et en essence. Dans ma fatigue, je n’avais pas remarqué cet homme sorti du ruisseau putride. Il est grand, le pan de sa veste déchirée laisse apparaître des côtes faméliques, ses pieds sont nus et la fange recouvre ses jambes jusqu’en haut des cuisses, son visage est sec, labouré par les rides d’une vie nourrie d’illusions perdues – c’est tout au moins mon interprétation – et sa pomme d’Adam saillit de son cou lassé de s’incliner. Ses yeux sombres me regardent sans me voir, puis émergent du néant, m’aperçoivent sans surprise. L’homme me salue d’un sourire triste. Sur le flanc du ruisseau, je devine un trou aménagé en tanière ; sa couche, faite de bambou, est protégée par une toile en plastique, à l’écart d’un modeste foyer constitué de gros galets. Le vieillard hausse ses épaules. J’ouvre ma sacoche de réservoir un peu trop rapidement : l’homme, inquiet, fait un pas en arrière. J’use de lenteur pour le convaincre d’accepter le biscuit que je lui tends. Il le saisit prudemment mais l’avale sans le mâcher. Alors je dépose sur l’herbe le paquet de biscuits, et mes barres chocolatées, et mes bouillons cubes, et mes réserves de sel et de sucre, et l’intégralité des mes rations, et mon eau aussi... Tout ce que je peux donner, je le lui donne. 

Je poursuis ma route qui traverse des villes surpeuplées couronnées de grues de construction élevant des usines ou des logements pour ces paysans devenus ouvriers. Pour un salaire de trente centimes d’euros l’heure, de nombreux agriculteurs quittent leurs terres pour vivre à la ville. Force vive de la production industrielle, ces Chinois à la limite du seuil de pauvreté enrichissent leur pays mais malgré leur dur labeur ils profitent bien peu  de cette nouvelle embellie.

Chine-Shanghaï

Une ville au superlatif

    [...] Accueilli avec gentillesse et hospitalité : « Voilà le frigo, la douche, les toilettes, tu es chez toi ! », je reste plus d’une semaine à Shanghaï
     Le jour, j’organise mon retour, je lave mes vêtements, je range mon équipement, classe mes notes, en griffonne de nouvelles. Je flâne dans les quartiers traditionnels faits de maisons en bois, goûte à l’atmosphère populaire d’une ville humant des senteurs d’aventure à la Tintin sous fond de Lotus Bleu. [...]

    [...] Annick me raconte qu’elle a vu s’élever trois mille tours en huit ans et m’explique : « Tu vois, il y a encore quatre ans, je venais faire mon jogging dans les marécages du Pudong (1), et maintenant, regarde autour de nous : que du verre et du béton ! Difficile d’imaginer hein ? C’est la nouvelle Chine, c’est la nouvelle Shanghaï ! ».
     Je suis déconcerté. Effacée l’image romantique d’une ville au charme délicat, encensée des parfums de l’extrême Asie, recelant des mystères envoûtants, dissimulant des ruelles sombres aux ombres furtives, des fumeries d’opium obscures, avec, arrimés à son port, des bateaux aux cales chargées de trésors en partance vers des contrées lointaines… [...]
(1) Pudong , à l’est de Shanghaï, est un quartier d’affaires en plein essor économique

Shanghaï

    [...] Tout y est gigantesque, démesuré, hétéroclite. Le projet du gouvernement de créer de toutes pièces cette zone économique a engendré une architecture à l’urbanisme délirant où se distingue entre toutes la tour Jin Mao à l’intérieur digne d’un décor de Star Wars. Le Pudong, excroissance de Shanghaï, est un mutant rouge aux habits taillés dans la bannière étoilée.

Tour Jin Mao

     Avoir les plus grands ponts suspendus, le plus grand centre commercial d’Asie, ne lui suffit plus. L’alien poussé inéluctablement à grossir éructe de ses profondeurs l’une des prochaines plus grandes tours du monde : le Shanghaï World Financial Center, qui culminera à quatre cent quatre-vingt douze mètres ! Il engendrera ensuite des tours jumelles en forme d’ADN (réalisées par nos ingénieurs du viaduc de Millau) qui atteindront cinq cent quatorze mètres et devraient coûter cinq cent vingt millions d’euros soit plus d’un million d’euros l’étage…

Tour Jin Mao intérieur

L’essai des communistes est transformé, l’expérimentale zone de développement économique et technique du Pudong est devenue sans conteste la devanture de la réussite chinoise. Est-ce le prolongement de la vision de Mao Tsé-toung, lui qui, en 1921, juste en face dans la concession française, sera l’un des douze participants au premier congrès du Parti Communiste Chinois ?

 

   Simple observateur de cet environnement époustouflant, je perçois quelque chose de viscéral, d’organique, dans la transformation de Shanghaï : ses poumons inspirent tous les jours un peu plus d’argent et son pouvoir en gonfle le torse démesuré. La grenouille plus grosse que le buffle saura-t-elle survivre à l’intégration du modèle occidental ? [...]

Chine-A la grandeur de la France éternelle !

Un Français si tranquille

    [...] Ce soir (comme tous les soirs) nous sortons dans Shanghaï la nocturne. Francis, le colocataire d’Annick, la trentaine, est grand, mince, avec de grands yeux bleus à l’attention aigue, et affiche le parler et l’élégance innée du parfait parisien. Sous ses faux airs d’homme averti, il ne se prend pas au sérieux.
— A la grandeur de la France éternelle ! S’exclame t’il.
Au cœur du Bund, sur la rive gauche du Huangpu, dans la boite au décor chinois bon chic-bon genre, nous levons nos verres et buvons d’un trait notre énième B 52, un cocktail flambé composé de liqueur d’orange, de café et crème de whisky. Certains en inhalent les vapeurs avant de le boire à la paille, incendiaire !
     Le comptoir ovale du Bar Rouge enferme dans son arène une dizaine de serveurs qui abreuvent sans relâche les nombreux consommateurs chinois et de bizarres expatriés aux yeux cernés de rouge.
     Pas de débordement, l’ambiance est sage, presque studieuse, il semble de bon ton d’afficher un air blasé même si l’on s’amuse. Je sors sur le balcon du luxueux édifice construit à l’âge d’or de la période coloniale. Surplombant le Bund, j’ai une vue imprenable sur les illuminations du Pudong qui se reflètent dans l’eau noire de la rivière.
Cette fascinante vision de troisième millénaire me laisse rêveur. Francis vient me chercher : « Mais que fait donc notre motard au long court ? Allez viens, on s’ennuie ici. Allons ailleurs ! ».
     Je détache avec difficulté mon regard des lumières éblouissantes du Pudong. Annick avait raison, voir Shanghaï valait vraiment la peine !


Pudong

  « L’ailleurs » est l’univers feutré d’une imposante demeure à l’architecture aristocratique. Héritage de la présence de la France à Shanghaï, la construction est bordée d’un vaste jardin situé au cœur du très chic « French Town ». [...]

 [...] Francis, manageur à l’export, a des ennuis : les produits commandés tardent à être fabriqués et ses clients s’impatientent…
— J’ai confiance en mon fournisseur mais les industries manquent de main d’œuvre et donc se concurrencent. Parfois, un ouvrier part du jour au lendemain pour gagner un centime de plus par heure. C’est pour cela que les patrons ne paient qu’une fois la fabrication terminée, sinon dès qu’ils ont assez d’argent, les gars retournent dans leurs villages s’occuper de leurs fermes.
Un centime d’augmentation, qui soit dit en passant implique en contrepartie une augmentation du rythme de travail. Parfois ce business m’écoeure !
— Je connais ça…
— Ouais Jean-Loup, c’est la vie !
     Nouvelle vague de B52…
— Dis-moi Francis, toi qui parcours la Chine de long en large, tous ces exploités, ils ne se révoltent jamais ?
— Bien sur que si ! Mais la presse est sous contrôle du gouvernement et n’en parle jamais !
— Et ce sont des révoltes importantes ?
— Ce que je peux te dire, c’est qu’il y a des arrestations suivies d’exécutions. La dernière fois dans le Guangxi, les ouvriers, toujours pas payés après six mois, ont pendu les patrons et les flics et les militaires appelés à l’aide ont subi un sort identique.
— Presque une révolution !
— Oui presque, les « rebelles » ont été fusillés sur le champ et le gouvernement a envoyé la facture des munitions à la famille des condamnés.
     Nous terminons la soirée sur des hypothèses de liberté et d’égalité. [...]