chine

Mon récit de cette aventure

Après avoir roulé sur plusieurs continents, Jean-Loup Fournier part en Chine au guidon de sa moto. Il va parcourir la légendaire Route de la soie et ses caravansérails dans des contrées mythiques, Turquie, Iran, Turkménistan, Ouzbékistan, Kazakhstan, et, au coeur de la Chine, Xi’an, ultime marché vers l’Occident. Son voyage lui fera découvrir les différentes facettes de la Chine, ses habitants, ses provinces reculées, le nord du Tibet et ses monastères, jusqu’à Pékin et sa Cité Interdite. Il ira au-delà de ses espérances en prolongeant sa route jusqu’à Shanghaï, départ maritime de la Route de la soie, époustouflante de modernité exubérante.

Mon récit est disponible

Italie, d’un port à l’autre

[...] le soir à Venise. Une traversée rapide : les sept cent soixante-dix kilomètres sont couverts en 7 heures 30. La douce vitesse de croisière sur le ruban d’autoroute favorise la rêverie (disons la décontraction…).

Je vois très peu de l’Italie, engoncé entre les rails la traversant. Les panneaux indiquant les régions m’invitent cependant vers les routes secondaires, parcourant de riches campagnes aux domaines enracinés par les siècles, traversant de magnifiques villes légendaires : Florence, Pise, Rome l’éternelle ! [...]

Kazakhstan-A mon ami Franck

[...] — Welcome in hôtel California ! Tu peux obtenir tout ce que tu veux ici à condition de le payer !
    Franck se passe de présentation et m’aborde franchement. C’est un vrai baroudeur, il a construit des pipe-lines à travers le monde et termine sa mission : relier le Kazakhstan à la Chine. Il a la parole directe. Mes réponses le sont tout autant :
— J’ai l’idée d’entrer en Chine par le Kazakhstan.
    C’est seulement une intuition,[...]


La Providence !

— Crazy frenchy ! Mais j’aime ça, inutile que tu continues ton chemin vers la frontière de Bahty/Tacheng. Il est possible de passer par Druzba sans permis spécial. J’appelle mon chauffeur, demain je te montrerai la route.
    Je suis dubitatif mais la providence m’a apporté tellement, et va encore m’apporter, au-delà de mon imaginaire ! Invité à dîner, nous devenons amis en quelques instants. [...]

 

Chine-J'y suis arrivé !

[...] Le lendemain au bord de la route : « Tu vois maintenant le pipeline ? Tu ne le quittes sous aucun prétexte, il te guidera en Chine. »
    Sur la route, c’est l’aventure la vraie, celle qui s’impose dans un environnement qui n’a plus rien de connu, où chaque moment est un engagement, où chaque jour est une surprise. Seul, isolé dans ce bout du monde où l’asphalte n’a pas encore remplacé la piste, pour lequel la carte est vide de toute trace et qui pourtant est bien réel. Étranger parmi les étrangers, j’évolue dans un mélange obligé de russes, afghans et chinois, pour un travail en commun : la construction du pipeline reliant la Chine au Kazakhstan. Sa mise en oeuvre est réalisable grâce à une ouverture du massif montagneux percée par des vents violents venus de Chine : la porte de Dzoungarie.

Première photo ! En fond le poste frontière chinois

Un poste frontière existerait donc ? Ce matin je porte mon tee-shirt porte-bonheur, celui dont un morceau noué repose sur la tombe de Jim Morrison. Celui du voyage au Vietnam en 99. Déjà refoulé au poste frontière de Korgas, je suis cependant prêt et sans crainte. Je parcours cette longue ligne droite de 180 kilomètres qui me relie à mon objectif !
    Au bout de la route, le poste frontière Chinois de Druzba : j’essaie de cacher mon émotion. J’ai en main le document de déclaration des douanes enregistrant la moto, pas d'autre formalité, pas de permis requis, pas d’autorisation spéciale, pas de dessous de table. Le douanier brûle de curiosité :
— La procédure est terminée, une dernière question : vous faites le tour du monde ?
— Ah! C’est à cause de mon logo...? Non, mon but est d’aller en Chine !
— Vous y êtes, soyez le bienvenu, bon voyage chez nous !
    Je rejoins la moto d’une démarche incertaine et m’éloigne du poste frontière. Je pense à celle qui m’a porté en avant. Je pense à Franck qui m’a montré la voie. Je pense à toutes celles et ceux qui ont cru à mon entrée en Chine avec la moto.
    Vous aviez raison ! Les cœurs purs trouvent toujours la voie ! [...]

Chine-Premier contact

    [...] A travers la cloison, me parviennent le bourdonnement de sourdes conversations, le tintement clair de couverts qui s’entrechoquent, une odeur aigre douce qui filtre sous la porte. Un réfectoire...
    Maintenant, certain d’être éveillé, j’ai faim. Le brouhaha et les effluves de déjeuner me dirigent vers la cantine. Je tourne la poignée, pousse la porte vitrée qui s’ouvre sur une multitude de baguettes fixées en l’air, certaines dans des bouches, d’autres emprisonnant des aliments. Au bout de ces baguettes, des hommes, des femmes, des enfants médusés, me regardent comme si j’étais l’unique survivant au crash de ma soucoupe volante. Habillé pour le départ, encore recouvert de boue de la veille, pas rasé, l’air hagard, je dois faire peur à voir.
Le cours du repas et des conversations reprend. Je me dirige calmement vers le chaudron bouillonnant d’abats et de légumes. Personne ne m’adresse la parole. Semblable à un fantôme que nul ne veut voir, l’assemblée fait semblant de m’ignorer. Parfois un coup d’oeil furtif vite détourné, c’est tout.
    Je chipote le morceau de tripe nageant au fond de mon bol. Je suis soucieux, je n’ai pas un seul yuan sur moi (la monnaie chinoise). Mon entrée en Chine a été si soudaine… Le voiturier, avec qui hier au soir j’avais échangé de quoi payer ma nuit d’hôtel, demeure introuvable et la banque de la ville est fermée pour une cause inconnue. Ma décision est prise : je pars pour Ürümqi. [...]

[...] Sur l’autoroute en construction qui va prochainement relier l’extrême est de la Chine à l’Asie centrale, sont dores et déjà bâties de flamboyantes stations service n’ayant rien à envier à leurs consoeurs occidentales. Dans ces rutilants postes à essence, j’arrive parfois à échanger un, voire cinq dollars transformés illico en litres d’essence.
    Lors de cette neuve et première journée de route en terre chinoise, je découvre des personnes au moins aussi intimidées que moi. Je constate avec amusement que nous agissons comme des animaux voisins de la même espèce : une approche prudente guidée par un intérêt et une curiosité réciproque. Ces rencontres me rappellent à cette antique Route de la soie. Aujourd’hui, barres chocolatées et carburant remplacent nourriture et fourrage. Dans ces nouveaux caravansérails les couleurs bien en vue des compagnies pétrolières claquent au vent, ceux sont elles les maîtres du marché ! Et le peu d’argent à ma disposition finit dans leurs caisses pour y abreuver mon fier coursier… [...]