aventure

Kazakhstan-L’amer goût de l’échec

[...] Piteusement, je traverse à nouveau Zharkent, agréable étape d’hier soir avant ma tentative d’entrée en Chine par Korgas. Le charme est rompu. De la jolie bourgade il ne reste que des trottoirs ensablés et des routes crevassées où errent des chiens jaunes et haineux. Selon le contexte et les sentiments éprouvés, les couleurs du monde changent. C’est plus que jamais vrai.

L’amer goût de l’échec

 Rejeté au poste frontière chinois, je me dirige vers le nord-est. Je vais essayer par une autre frontière et si je ne peux pas, je tenterai par la suivante et la suivante encore, jusqu’à la Mongolie s’il le faut.  [...]
    Le visage lisse et froid du doute s’est installé : vais-je y arriver ? Je m’accroche à ma décision comme un rescapé à sa planche de salut. Ivre, je ne lâche pas le comptoir fuyant. Je m’endors mais ne quitte pas le serpent des yeux...
    Le ciel clair illuminé d’un soleil radieux ne peut me faire oublier les intraitables frontaliers chinois. Bien avant le départ, encore en France, j’avais échafaudé des plans, écrit des scénarios, tissé des canevas, imaginé des situations comme celle d’acheter les douaniers. Ça avait presque fonctionné. Les petites coupures en dollars préparées et ostensiblement visibles, la négociation avec le colonel des douanes semblait sur le point d’aboutir. Mais après une longue conversation téléphonique avec ses supérieurs, son refus désolé avait été sans appel. La foule agglutinée, éberluée par le zouave en moto, n’avait pas facilité la transaction. Et c’est conscient de la situation que l’officier, drapé d’un théâtral air autoritaire, le bras tendu vers l’ouest, m’avait hurlé : « No way, vous devez retournez au Kazakhstan ! » Pas besoin de traduction : ça ne passe pas.
    Je n’ai jamais voulu écrire ce scénario, [...] j’ai passé des frontières sans visa, démonté ma moto en pièces pour la transporter dans la soute d’un avion, passé des fleuves sur des morceaux de bois assemblés par des lianes, négocié dans un rade pourri des jours durant le passage en douane de la moto, alors ce ne sont pas ces satanés chinois qui vont me la faire ! Je ne veux pas payer l’autorisation de circuler. C’est ou je rentre sans ou… L’amer goût de l’échec m’assèche la volonté. Et si les douaniers suivants étaient aussi coriaces ? Et si la vision que j’avais eue au Turkménistan de cette entrée par le Kazakhstan se révélait illusoire ? [...]

Chine- Dunhuang et les grottes de Mogao

       [...] C'est à vingt-cinq kilomètres au sud de Dunhuang qu’est situé le site de Mogao renfermant peintures, manuscrits et statues bouddhiques comptant parmi les plus importants et les plus anciens au monde. Afin de bénéficier d’une protection, pour exprimer leur gratitude ou par dévotion, les voyageurs, pèlerins, caravaniers et marchands creusèrent et aménagèrent les grottes de Mogao.

    J’ai apporté mon foulard de reconnaissance.

Passée la barrière, de jeunes recrues, comme désespérées d’être là, déambulent sur un vaste parking enveloppé d’une chape de fumée bleue. L’odeur nauséabonde des moteurs diesel émane d’une multitude de cars stationnés moteur tournant, alimentant des climatiseurs poussés à leur maximum. L’accès au site est bordé de boutiques, de magasins et de restaurants. Presqu’une ville. Les marchands du temple sont là, une fois de plus.

    La marée humaine de touristes m’emporte. Je domine de la taille le flot des petits drapeaux rassembleurs aux couleurs des tour-opérateurs. M’arrêtant à un portique de type métro (c’est d’ailleurs l’heure de pointe !), un garde zélé tourne et retourne mon ticket d’entrée pour finir [...]

[...] Il m’ouvre alors le passage sur un parcours propre et organisé. Je suis le grain de sable dans ce rouage de colonnes humaines structurées pour la visite et je gène leur évo- lution. Perturbées, contrariées, les chenilles processionnaires se regroupent et repartent dévorer l’excavation suivante. Parfois deux lignes d’asticots urticants se retrouvent face à face sur l’étroit labyrinthe courant sur les trois niveaux de la falaise. Impossible de reculer pour eux, derrière ça talonne. Agglutinés sur le mince goulet, ils se mélangent, parviennent à s’extraire de la confusion, se reconnaissent, se reforment et poursuivent leurs guides qui, un lourd trousseau de clefs tintant à la ceinture, ouvrent et referment les portes des grottes sur leur passage et à mon nez ! Qu’importe, je patiente pour me mêler (moi aussi) au groupe de visiteurs anglo-saxons essoufflés et suants. [...]